Hommage à Badara Ndiaye – Adieu, camarade trotskiste !
Par Bacary Domingo MANE
Les mots me manquent Badou, pour exprimer le sentiment de vide qui éteint mon cœur. La nouvelle de ta disparition ressemblait à un conte de fées, tellement elle était inattendue pour quelqu’un qui, dans la semaine, venait de faire une belle prestation dans une télévision de la place sur les questions de migrations. Une vraie surprise d’autant que c’est au détour d’échanges avec un aîné, collègue enseignant vacataire à l’Ufr/Crac de Saint-Louis, que la nouvelle est tombée. Nous parlions de cette période de clandestinité où les partis communistes et maoïstes avaient développé une forme de communication politique en utilisant les chants, poèmes et théâtres pour contourner et faire face à la répression senghorienne. Une discussion qui s’inscrit dans le cadre de mes recherches universitaires. Un sujet, en apparence, loin de la mort. Et pourtant…L’aîné en question est dans un réseau d’anciens camarades du Mouvement Xarebi et c’est là où il a appris la mauvaise nouvelle.
Incrédule, j’ai appelé sur le téléphone du camarade, c’est son épouse qui décroche. Elle confirme la nouvelle, en expliquant que le défunt se plaignait de simples maux de tête. «Même lui est surpris par sa mort en se réveillant dans sa tombe», me dit-elle, l’air abasourdie. Allah a donné, Allah a pris ! Ainsi soit-il !
J’étais encore élève au Lycée Charles De Gaulle, lorsque Demba Ndiaye, journaliste à la RTS Saint-Louis, m’a enrôlé à l’Organisation socialiste des travaillistes (OST), parti dirigé par le Pr. Amadou Guiro.Une formation trotskiste, affiliée à la 4è Internationale. Badou faisait partie du cercle d’aînés parmi lesquels, Serigne Mour Ndoye, Demba Ndiaye, Badou Ndiaye. Ils étaient de la même génération. Jeunes cadres et révolutionnaires, professeurs, journalistes, ingénieurs etc, ils voulaient, à l’instar de Léon Trotski, traduire dans les faits ici au Sénégal et dans le monde, le concept de «révolution permanente et mondiale».
Le trotskisme est adepte du «communisme révolutionnaire» qui veut mettre un terme au capitalisme. Ce courant, aile gauche du parti communiste, prône une lutte des classes permanente jusqu’à la mise en place du socialisme. Il est convaincu que la paix de l’humanité ne peut venir que d’une révolution socialiste mondiale conduite par les populations laborieuses et qui feront en sorte que les moyens de production profitent à tous et non à une minorité.
Badou connaissait de A à Z cette doctrine. Et sa culture encyclopédique du trotskisme était prouvée par des lectures de revues de la IVè Internationale et d’ouvrages de Léon Trotski : La Révolution permanente ; Le journal d’exil ; La révolution trahie ; L’international communiste après Lénine ; Ma vie etc.
On aimait l’écouter autour de la table, lors de nos réunions, quand il parlait des révolutions cubaine, salvadorienne, péruvienne etc. Badou était un grand théoricien du trotskisme et fin stratège lorsqu’il fallait travailler pour la visibilité de l’Ost lors des grands rendez-vous démocratiques. Il avait un esprit clairvoyant et c’est là où résidait sa force d’anticipation.
Babou était aussi un homme très généreux qui aimait partager les biens matériels et immatériels. Son sourire permanent traduit la pureté d’un cœur qui relativisait tout et ramenait tout à des proportions humaines.
Ce n’est pas un hasard, après les salles de classe (il était professeur d’anglais), que Badou se trouve dans le monde de la société civile. L’Ong DIADEM qu’il a créée, pour défendre les droits des Migrants, est en quelque sorte du trotskisme. Il s’est érigé en défenseur des droits humains et a fait de la lutte pour une migration plus humaine et sécurisée son sacerdoce. Son ONG DIADEM s’est beaucoup impliquée dans l’accompagnement des migrants de retour et a beaucoup réfléchi à la mise en place de solutions durables pour la réinsertion sociale et économique de ces derniers.
Badou, tu diras à Léon Trotski, à Kal Marx, Castro, Sankara etc, que le Sénégal a entamé sa révolution permanente le 24 mars 2024. Les gens du système, capitalistes dans l’âme, sont en train de faire feu de tout bois pour la faire capoter.
Repose en paix, camarade !
Bacary Domingo MANE (Mondeafrik.com)