Le secrétaire d’Etat : un délégataire de pouvoirs placé sous l’autorité du ministre titulaire
Par Papa Assane TOURE, Magistrat
Au Sénégal, le poste de secrétaire d’Etat[1] est apparu avant même l’accession de notre pays à la souveraineté internationale. Déjà, par le décret n° 59-064 SG du 04 avril 1959 fixant la composition du Conseil des Ministres[2], le Président Mamadou DIA a nommé trois secrétaires d’Etat à la Présidence du Conseil.
Après les événements de 1962, le Président Léopold Sédar SENGHOR, par décret n° 62-195 du 19 décembre 1962 portant nomination des secrétaires d’Etat du Gouvernement[3], a nommé cinq secrétaires d’Etat.
Dans notre tradition républicaine, le secrétaire d’Etat est souvent placé auprès d’un ministre. La création du poste de secrétaire d’Etat dans l’attelage gouvernemental traduit souvent l’importance stratégique que le Chef de l’Etat attache à un secteur d’activité (logement, droits humains, etc.) et participe aussi du souci de l’autorité de délester un ministre de certaines de ses charges. Le poste de secrétaire d’État est souvent considéré comme une station d’apprentissage du pouvoir, qui permet à son titulaire de fourbir ses premières « armes » en se familiarisant aux techniques et usages de l’Administration centrale de l’Etat avant d’être nommé ultérieurement ministre titulaire.
A la faveur de l’adoption du décret n o 2020-2098 du 1er novembre 2020 portant nomination des ministres et secrétaires d’Etat et fixant la composition du Gouvernement, le Chef de l’Etat a nommé quatre secrétaires d’Etat, qui sont des membres du Gouvernement et assistent, à ce titre, au Conseil des Ministres[4].
Dans la pratique administrative, force est de constater que l’étendue des attributions des secrétaires d’Etat au sein de leurs départements de rattachement n’est pas toujours bien appréhendée. Cette situation est quelquefois à l’origine de difficultés de collaboration, voire de conflits de compétence, surtout dans le pilotage et la gestion des projets et programmes.
Quoi qu’il en soit, l’analyse des décrets relatifs aux attributions des secrétaires d’Etat permet de dissiper toute ambiguïté. En effet, il est certain que le secrétaire d’Etat, bénéficiant d’une délégation de pouvoir, qui est dans une situation administrative similaire à celle de l’ancien ministre délégué, est placé sous l’autorité du ministre. Aussi, ses services sont-ils dans une situation de dépendance à l’égard du département ministériel de rattachement.
I. Le placement du secrétaire d’Etat sous l’autorité du ministre titulaire
Le secrétaire d’Etat exerce une partie des attributions dévolues au ministre. Les décrets relatifs aux attributions des secrétaires d’Etat énoncent que le secrétaire d’Etat auprès d’un ministre exerce les compétences dévolues à ce dernier dans un secteur d’activité déterminé (formation professionnelle, logement, gestion des sénégalais de l’extérieur, droits humains, etc.). Il en résulte que le secrétaire d’Etat bénéficie d’une délégation de pouvoir pour exercer une partie des compétences du ministre titulaire. Aussi, peut-il remplacer le ministre titulaire dans l’exercice de ses attributions sur l’autorisation expresse de ce dernier.
Dans sa pureté originelle, le mécanisme de la délégation de pouvoirs, encore appelé délégation de compétences, consiste pour une autorité à transférer une partie de ses compétences à une autre autorité en se dessaisissant ainsi des matières déléguées sur lesquelles elle ne peut intervenir aussi longtemps que subsiste la délégation[5]. En outre, les décisions prises par le délégataire sont considérées juridiquement comme émanant du délégant[6].
Mais la délégation de pouvoirs dont bénéficie le secrétaire d’Etat présente un particularisme certain qui contribue à en limiter la portée.
En premier lieu, ce n’est pas le ministre qui délègue ses compétences au secrétaire d’Etat, mais plutôt le Chef de l’Etat qui, après avoir conféré des attributions à un ministre, en délègue une partie à un secrétaire d’Etat. C’est pourquoi, l’adoption du décret relatif aux attributions du secrétaire d’Etat est toujours postérieure à celle du décret fixant les attributions du ministre.
En deuxième lieu, les actes posés par le secrétaire d’Etat (délégataire) ne sont pas considérés comme émanant du Président de la République (délégant). En effet, le secrétaire d’Etat, agissant « au nom » du ministre, ses actes engagent politiquement ce dernier. C’est pourquoi, le secrétaire d’Etat doit tenir le ministre informé à temps des orientations stratégiques, des activités et des résultats de ses services en vue de recueillir les directives ministérielles.
En troisième lieu, le secrétaire d’Etat exerce ses attributions « sous l’autorité » du ministre titulaire. A ce titre, ce dernier peut lui adresser des instructions, fixer les grandes orientations de son action et veiller à la bonne exécution de la politique du Gouvernement qui lui est confiée. D’ailleurs, le secrétaire d’Etat ne peut présenter des communications en Conseil des Ministres que sur autorisation du ministre.
Juridiquement, la situation de contrôle et de dépendance dans laquelle se trouve le secrétaire d’Etat vis-à-vis du ministre ne saurait étonner. En effet, par hypothèse il exerce une partie des attributions du ministre par délégation du Président de la République. Les attributions du secrétaire d’Etat sont avant tout celles du ministre titulaire.
Le secrétaire d’État n’a pas qualité de ministre au sens constitutionnel du terme[7]. C’est pourquoi, la circulaire n° 0002 PM/SGG/SGA/PAT du 27 janvier 2017 relative aux rapporteurs des projets de texte rappelle qu’en principe, seuls les ministres titulaires peuvent signer les rapports de présentation des projets d’ordonnance et des décret[8].
Selon la circulaire n° 52/PM/JUR du 12 juin 1978 relatif à l’intérim des ministres absents, l’intérim d’un ministre ne peut être assuré que par un autre ministre.
En pratique, force est de constater que les secrétaires d’Etat assurent l’intérim des ministres titulaires.
Néanmoins, les secrétaires d’Etat, en tant que membres du Gouvernement, n’en bénéficient pas moins d’une protection pénale similaire à celle dont bénéficient les ministres. Ainsi, ils sont pénalement protégés contre les diffamations commises par des moyens de diffusion publique en raison de leurs fonctions[9].
De plus, l’article 639 du Code de Procédure pénale prévoit que les secrétaires d’Etat ne peuvent comparaître comme témoins qu’après autorisation donnée par décret sur le rapport du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice. Ils ont aussi un privilège de juridiction, pour être justiciables de la Haute Cour de Justice pour les actes commis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis[10].
Selon l’article premier de la loi n° 68-24 du 11 juillet 1968 relative aux traitements, indemnités et avantages des ministres, secrétaires d’Etat ainsi que des membres du cabinet du Président de la République et des cabinets ministériels, les secrétaires d’Etat perçoivent une indemnité mensuelle égale au traitement afférent à l’indice maximum de la fonction publique[11]. A cela s’ajoutent une indemnité de représentation et des avantages en nature.
En outre, à l’image du ministre, le secrétaire d’Etat qui cesse ses fonctions, à moins qu’il n’ait repris auparavant une activité publique rémunérée, perçoit pendant six (6) mois une indemnité égale à traitement qui lui était alloué en qualité de secrétaire d’Etat.
II. La dépendance des services du secrétaire d’Etat à l’égard du ministère de rattachement
La circulaire n° 42 PM/JUR du 06 novembre 1970 relative aux appellations des membres du Gouvernement a rappelé que, s’agissant de l’administration et non de la personne physique du secrétaire d’Etat, il est permis de parler de « secrétariat d’Etat ». La circulaire n° 48 PM/JUR du 29 mai 1978 relative aux appellations des ministres et des secrétaires d’Etat, va dans le même sens puisqu’elle énonce que, pour des raisons de commodité et de simplification, il convient de parler de « Secrétariat d’Etat à la Jeunesse et aux Sports » et non de « Secrétariat d’Etat auprès du Premier Ministre chargé de la Jeunesse et des Sports ».
Ainsi, le secrétariat d’Etat correspondrait à un regroupement plus restreint de services et d’activités placés sous l’autorité d’un secrétaire d’Etat, non suffisants pour constituer un véritable ministère, mais que les pouvoirs publics désirent individualiser.
Toutefois, il est difficile de considérer l’équipe du secrétaire d’Etat comme une unité administrative autonome, à l’image d’un département ministériel. Il serait plus exact de parler des services du secrétaire d’Etat. A la lumière des textes fixant les attributions des secrétaires d’Etat, on peut d’ailleurs se demander si l’équipe constituée du secrétaire d’Etat et de ses collaborateurs ne fait pas organiquement partie du ministère de rattachement.
En effet, le secrétaire d’Etat ne dispose ni d’un secrétariat général, ni de directions générales, ou de directions techniques, ni d’un budget propre. Il peut seulement constituer un cabinet, conformément aux dispositions de l’article 8 du décret n° 2020-2327 du 09 décembre 2020 relatif à l’organisation des cabinets des ministres et des secrétaires d’Etat. Ce cabinet comprend un directeur de cabinet, des conseillers techniques dont le nombre ne peut dépasser trois (3), un chef de cabinet et un attaché de cabinet, nommés par arrêté du secrétaire d’Etat.
Il faut préciser que les décrets relatifs aux attributions des secrétaires d’Etat précisent souvent que le secrétaire d’Etat dispose, en tant que de besoin, pour l’exercice de ses attributions, des services du département de rattachement. Il s’agit notamment des directions générales, des directions ou des autres services du ministère de rattachement dont les missions rentrent dans ses attributions. Ainsi, l’article premier du décret n° 2020-2228 du 11 novembre 2020 relatif aux attributions du Secrétaire d’Etat auprès du Ministre de l’Urbanisme, du Logement et de l’Hygiène publique[12] énonce que le Secrétaire d’Etat auprès du Ministre de l’Urbanisme, du Logement et de l’Hygiène publique dispose, en tant que de besoin, pour l’exercice de ses attributions, des services du ministère de rattachement, notamment de la Direction générale de l’Urbanisme et de l’Architecture, de la Direction générale de la Construction et de l’Habitat, de la Direction générale du Cadre de Vie et de l’Hygiène publique et du Fonds pour l’Habitat social.
Par exemple, la Direction des Droits humains du Ministère de la Justice peut être mise à la disposition du Secrétaire d’Etat auprès du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, chargé de la Promotion des Droits humains et de la bonne Gouvernance.
En réalité, la mise à disposition des services du département ne constitue pas une faculté mais une obligation pour le ministre titulaire qui tire sa source de la délégation de pouvoir dont bénéficie le secrétaire d’Etat. Le ministre doit donc aménager l’organisation de ses services en vue de permettre au secrétaire d’Etat d’exercer pleinement ses attributions.
D’ailleurs, pour les besoins de la coordination technique et administrative des activités des services mis à sa disposition, l’article 3 du décret n° 2017-313 du 15 février 2017 instituant un secrétariat général prévoit que le secrétaire général du ministère assiste le secrétaire d’Etat dans l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi de la politique du département. Il reviendra ainsi au secrétaire général du ministère, sous la supervision du secrétaire d’Etat, de veiller à la bonne coordination de l’action des services du ministère mis à la disposition de ce dernier.
En définitive, le secrétaire d’Etat n’est pas un « électron administratif libre » disposant de compétences propres. En réalité, il exerce, par délégation, une partie des attributions du ministre titulaire fixées par décret. La situation de dépendance dans laquelle il se trouve ne saurait étonner puisqu’il exerce les attributions du ministère de rattachement en son nom et sous son autorité.
Ainsi, le secrétaire d’Etat constitue un puissant outil au service de la correcte mise en œuvre des politiques publiques, pour peu que ses attributions soient bien appréhendées et délimitées.
Papa Assane TOURE
Magistrat
Docteur en Droit
Secrétaire général adjoint du Gouvernement,
chargé des Affaires juridiques
[1] D. AMSON, « Les secrétaires d’Etat sous la Veme République », RDP 1972, p. 661 ; J. C. GROSHENS, « Les secrétaires d’Etat », RDP, 1955, p. 357.
[2] JORS du 08 avril 1959, p. 347.
[3] JORS du 19 décembre 1962, p. 1940.
[4] Il s’agit du Secrétaire d’Etat auprès du Ministre des Affaires Etrangères, chargé des Sénégalais de l’Extérieur, du Secrétaire d’Etat auprès du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, chargé de la Promotion des Droits humains et de la bonne Gouvernance, du Secrétaire d’Etat auprès du Ministre des Infrastructures des Transports terrestres et du Désenclavement, chargé du réseau ferroviaire et du Secrétaire d’Etat auprès du Ministre de l’Urbanisme, du Logement et de l’Hygiène publique, chargé du Logement.
[5] I. M. TANDIAN, « La délégation de pouvoirs et de signature dans l’administration régionale et locale au Sénégal », RIPAS n° 23-24, janvier- décembre 1990, Actes du 5eme colloque de la RIPAS, Dakar du 11 au 15 décembre 1989, p. 134 et s.
[6] V. également, l’instruction n° 17 PM-JUR. du 13 mai 1970 relative à la déconcentration des pouvoirs au sein des départements ministériels ; en ce sens, A. BOCKEL, Droit administratif, Dakar-Abidjan NEA, 1978, p. 136-137.
[7] CE, 11 juillet 2001, n° 224586, Medef, JurisData n° 2001-063078, Rec. CE 2001, p. 363.
[8] P. A. TOURE, Légistique. Techniques de conception et de rédaction des textes législatifs et réglementaires. Une tradition de gouvernance normative, Dakar, l’Harmattan, 2018, n° 259.
[9] V. art. 260 du Code pénal.
[10] V. art. 101, alinéa 2 de la Constitution
[11] V. la circulaire n° 1923/MF/CAB/7 du 07 avril 1960 relative aux avantages en nature des membres du Gouvernement et des cabinets ministériels.
[12] JORS n° 7377 du 30 novembre 2020, p. 2053.