Une suprématie de la raison sur les dérives pseudo-nationalistes.
Par Mouhamadou Lamine Mbodji
Il est clair qu’aujourd’hui, la superstition populaire a pris le dessus sur la vérité de la raison. Jadis, l’espace public était le lieu par excellence d’affrontements d’idées et de réflexions participant à l’éveil de la conscience citoyenne. Mais depuis peu, avec l’avènement des réseaux sociaux, nous voyons une horde de gourous fantaisistes charger l’imaginaire populaire de mythes infondés.
Ne nous y trompons pas. Lorsque règne le désordre intellectuel, l’anarchisme moral devient la loi et cela mène irrémédiablement à une décadence sociale.
Au Sénégal, nous en avons fait les frais récemment.
Positions extrêmes exhibées, nous avons assisté pendant des jours, à des assauts d’extrémistes sur les réseaux sociaux conduisant à un « Mortal combat » pour notre démocratie. Le prix du sang est-il encore logique dans une démocratie moderne? Ce qui est sûr dans cette histoire, on dénote un manque de mesure des deux camps.
La mesure, cette capacité d’appel à la retenue, à la réflexion avait laissé place dans le jargon populaire à une explosion de ressentiments. Hourras de révolution ou cris de maintien démocratique, il va s’en dire que les événements qui se sont déroulés dans ce pays ont marqué plus d’un. Les affrontements ont eu un coût en vies humaines et cela me désole au plus profond de mon âme. Mais ils ont aussi un coût socio-économique qu’il faut vite réparer car quoi qu’on dise, n’évoluant pas dans un État DE NATURE, l’État DE DROIT que la démocratie prône, appelle à une prise en charge de la vulnérabilité des moins forts et doit de facto par des voix économiques faciliter un mieux être pour la grande masse.
Ce mieux être est un idéal qui est sans cesse recherché par bien de voix. Car s’il y a une chose vraie pour la quasi – totalité des économistes, c’est que l’ethnocentrisme du développement n’est qu’illusion. Il est chimérique du moment où la diversité culturelle ainsi que les réalités sociales soient prépondérantes à notre condition humaine.
Mais bien que la route du développement ne soit pas un seul tracé que suivent toutes les nations, il faut quand même avouer qu’en 2020 qu’il soit impossible de réinventer la roue et que le globalisme soit une réalité effective.
L’économie de marché, quoi qu’on dise, a pris le dessus sur bien de modèles. N’est-ce pas les enseignements de FUKUYAMA dans son fameux « FIN de L’HISTOIRE »? Ou encore de Joseph STIGLITZ ancien économiste en chef de la banque mondiale dans sa fameuse « grande désillusion » qui bien qu’étant critique à l’encontre du système capitaliste montre quand même que ce système marche. Il va au – delà et pose des questions existentielles que l’on devrait tous se poser.
Car jamais au cours de son histoire, l’homme n’a produit autant de richesses. Personnellement, je suis foncièrement libéral, je crois à l’économie du marché, je crois à la libre circulation des capitaux. Cette dernière est d’une importance capitale dans toutprocessus de développement des nations. Quel est le pays qui ne connait pas la présence de capitaux étrangers dans son espace économique optimal? De la Chine à l’Europe, de l’Afrique à l’Amérique, les flux financiers voyagent à des rythmes soutenus bien que n’obéissant qu’ à des logiques de profits la plupart du temps.
Toujours est- il, le concours des nations aujourd’hui au plan mondial n’est point de les rejeter mais plutôt de se montrer attractifs afin d’en tirer le maximum. Mais les récents événements survenus dans notre pays mettent à mal notre attractivité dans ce domaine. Pas plus tard qu’avant hier, je discutais avec un ami avocat qui m’avoua qu’il y avait quelques uns de ces clients anglais qui souhaitaient diluer leurs prises de participation sur certaines plateformes pétrolières . Je n’entrerai pas dans les logiques de partages de productions qui régissent nos contrats pétroliers (cela se fera sous peu dans un autre article), mais il est clair pour les esprits avertis, que nos Etats ne peuvent se permettre de mobiliser des milliers de milliards pour leurs prises de participations dans des projets d’exploitations pétrolières en haute mer. Quand des investissements attendent dans le domaine de la santé des infrastructures…
Damnant quod non intelligunt( ils condamnent ce qu’ils ne comprennent pas).
La suprematie de la raison voudrait que les sachants reprennent la parole pour lever le voile sur la situation économique de ce pays qu’on prête à des étrangers. Comment dans un pays où le poids de toutes les entreprises étrangères en terme de plus value rapportés à notre PIB ne dépassant pas 15%(source ANSD) qu’on puisse prétendre l’existence d’un neo-imperialisme poussant par la même à la haine? Le discours des gourous afro-pessimistes criant à une certaine servitude est l’une des causes fondamentales qui ont conduit aux saccages puis au pillage d’entreprises privées portant des enseignes françaises. 19 points de distribution AUCHAN en ont fait les frais. Que cette chaine de grandes surfaces emploie 1700 sénégalais et distribue les produits de 600 fournisseurs locaux, les jeunes n’en avaient que faire. L’endoctrinement est une réussite.
Ce discours cultivant la haine, le ressentiment est même arrivé à l’oreille de nos enfants . J’ai été déçu, la semaine dernière, d’entendre mon neveu de 9 ans dire qu’il n’aimait pas les habits qu’il avait pas mis lors d’une sortie car, cela venait de la France! Après investigations, il me dit qu’à leur école, tout le monde dit que les Français sont méchants.
On peut trouver mille raisons à ces faits, on peut penser que cela soit la résultante d’une furie générale. Mais il est clair aussi que cela a fortement trait au développement d’un sentiment anti – français en Afrique de l’ouest depuis un certain temps. Qui n’a pas entendu le vrombissement de groupe comme FRAPP/FRANCE DÉGAGE, qui n’a pas entendu les accusations de Kemi Seba, qui n’a pas entendu la verve accusatrice d’une Nathalie YAMB. De Dakar à Abidjan, les gens accusent l’ancien colon de ne point avoir brisé les chaînes, les gens accusent les dirigeants d’être à la solde des français. Un neo-imperialisme exhibé , des discours de Sankara sortis des tiroirs de l’histoire aux relents de nationalisme en vogue.
On peut comprendre facilement l’état de conscience qui habite ces jeunes, un colonialisme encore frais dans les mémoires réveille chez certains un sentiment de révolte. Bref! Un état de conscience collective qui appelle à une réflexion sur le chemin parcouru par notre État aux caractères bien adolescents. Mais si l’on se détache de toute logique de sentiment en prônant la mesure dans toute chose, avons nous raison en 2021 de toujours se considérer comme pas libre?
Nous pensons fortement au plus profond de notre âme, être libre, durant la courte expérience que nous avons, il nous est arrivé de traiter d’égale dignité avec les blancs. Pour nous, c’est un faux débat de crier à un néo-colonialisme aujourd’hui en Afrique car l’Afrique de 1955 est bien différente de celle de 2021, chose que nous prouverons dans cette petite contribution. Et comme préciser dans la grande désillusion citée plus haut, les vrais questions ne devraient être portées sur la provenance du capital, mais plutôt sur une redéfinition de la rémunération du capital, mais aussi sur la redistribution des richesses (nous y reviendrons sur une autre publication).
Rappelde faits historiques: d’emblée nous rappellerons que le capital étranger à l’époque investit en Afrique obéissait à des logiques plus politiques qu’économique d’où un état d’ asservissement.
En effet, il est clair que durant la période allant d’avant indépendance jusqu’après les indépendances, nous dépendions trop de la France. Toute initiative sérieuse en Afrique de l’ouest francophone demandait une validation de la France. Etions-nous obligés sachant que nous venions juste de quitter un Etat d’économie naturelle à une économie moderne dite capitaliste? Toujours est-il que dans le fond, la république française était aux manettes. Dans tous les secteurs, des politiques d’infrastrutures publiques aux politiques économiques, la France dirigeait.
Par exemple:
Dans le domaine des infrastructures, rappelons qu’entre les deux guerres, les investissements publics dans les colonies françaises étaient financés par des emprunts placés sur le marché financier métropolitain. Après la deuxième guerre mondiale, avec la loi du 30 Avril 1946, le concours direct de la métropole devient préponderant dans le financement de l’équipement colonial. Le financement des opérations était mené par la section d’outre-mer de la FIDES (le fonds d’investissement pour le développement économique et sociale) de la manière suivante:
-55% au titre de dotations non remboursables
-45% à l’aide de contributions territoriales avec la possibilité d’emprunts auprès de la caisse centrale de la France d’outre-mer.
À partir de 1953, les opérations de financements ayant pour objet la production et l’équipement social sont supportées à100% par des dotations non remboursables du budget de la France aux fides.
Pour les infrastructures, la contribution des territoires concernés était d’environ 25%, avec la possibilité d’obtenir des avances à long terme de la CCFOM. L’ancien président WADE en avait même fait mention dans sa thèse en économie.
L’influence de la France ne se limitait pas simplement aux politiques d’infrastructures, la maîtrise s’établissait même dans tous les secteurs. De la finance au commerce, partout on retrouvait une suprématie française. L’argent de la France était au contrôle, la Caisse centrale de la FOM assure le financement du FIDES, et son activité était prolongée dans chaque Etat par une société d’État ou d’économie mixte(crédit du Sénégal, crédit du Soudan etc).
Il existait aussi 3 organismes de crédit foncier dont le crédit foncier de l’Afrique française qui était une filiale de la banque d’Indochine. L’argent de la France était dans tous les secteurs d’activités et toute initiative de la part de nationaux se heurtait à d’énormes difficultés qui minaient sa survie.
Les Français étaient aux commandes dans tous les domaines de l’industrie alimentaire au textile en passant par les mines. Du commerce au secteur bancaire en passant par le secteur industriel, la France était à la tête.
La loi cadre de 1956 permettait même à ces entreprises qui connaissaient pour la plupart un financement de l’État français de négocier des régimes fiscaux à l’avance à travers les dispositions suivantes:
– En premier lieu un régime fiscal exceptionnel de longue durée fut établi et durait pas moins de 15 ans.
– nsuite les conventions de longue durée pouvaient être négociées et celas’étalait même sur le recrutement de personnel, les fournitures…
– la troisième disposition prévoyait d’attribuer des droits de vote privilégiés aux actionnaires français, le contraire imposéaux étrangers.
On était en présence d’un système bien connu, qui voyait les pouvoirs publics français subventionner directement des entreprises et prendre en compte leurs financements.
Tel était le régime susceptible d’être appliqué aux capitaux privés venus s’investir en Afrique, ils n’étaient pas simplement régis par des logiques de profits. La plupart des fonds qu’ils soient totalement publics ou qu’ils semblent à l’époque être privés cherchaient à asseoir une hégémonie française sur un plan mondial par des temps ou la géopolitique mondiale connaissait beaucoup de bouleversements.
Mais ayant quitté une économie à forte connotation naturelle régit par des échanges en nature pour une économie dite moderne capitaliste avions nous le choix de procéder autrement pour ne point subir la suprématie française? Car quoi qu’on dise nos Etats jeunes ne comptaient pratiquement en terme de mobilisation de source interne que sur la capitation (impôts par habitants ou par tête de bétail.
Un point sur la situation actuelle:
Nos Etats ont pris du temps pour grandir, les questions qui entouraient les mesures législatives rapportées aux investissements ont connu des avancés. De la loi de 1956 à la toute dernière loi sur les PPP qui date de décembre dernier il faut avouer qu’il y a eu du chemin.
D’un système d’imposition basé sur une capitation à un système riche et diversifié ( même s’il faut encore le parfaire) il faut avouer que ce pays qu’est le notre est aujourd’hui parfaitement libre.
Le temps n’est plus à une singularité fixant primauté et avantage à la France. La longue traversée du désert de notre code d’investissement en atteste largement.
Et lorsque nous portons loupe à la partie des flux financiers dirigés par des logiques politiques, nous verrons facilement que la France n’est plus le premier partenaire du Sénégal.L’architecture de la dette extérieure de ce pays montre que la CHINE détient la plus grande partie de notre dette soit 60%.
Sur le plan infrastructurel, nous sommes bien loins- des temps où le FIDES conditionnait notre politique. La politique de financement ainsi que les acteurs du secteur ont changé. D’oùla présence de géants nationaux comme CSE ou CDE…
Néanmoins dans ce domaine nous connaissons toujours la présence d’entreprises étrangères qui ont quand-même une part de marché bien respectable. Ce qu’il faut comprendre dans le domaine des infrastructures c’est que lorsqu’un chinois ou un turc gagne des marchés il devient aisé pour eux de lever les fonds dans des eximbanks chez eux, choses que nos nationaux ne peuvent pas sauf joint -venture de leurs parts avec des entreprises venant de ces pays. Il faut avouer que le coût de ces infrastructures est amoindri bien souvent par un coût locatif des flux financiers bien bas.
Nul besoin de préciser que les services de la dette sont moindres hors de nos frontières où nous connaissons encore des coûts locatifs des flux financiers bien lourds.
Dans tous les secteurs de l’économie nous voyons des sénégalais aux commandes. La deuxième plus grande minoterie de ce pays qui appartenait à feu Ameth Amar a été financée par le capital étranger.
Mieux, j’ai été heureux lors d’une discussion avec LOUM Diagne de l’entendre expliquer comment l’apport du capital étranger a été vital dans le développement de ses activités.
Aujourd’hui, ce monsieur qui a pris les parts des allemands, gère une chaine d’hôtel en Afrique et est même en train de réaliser le premier sheraton de ce pays à plus de 10 milliards de coût .
Dans le domaine de la téléphonie , nous avons vu des nationaux être aux commandes si Kabirou Mbodj n’avait pas pris trop de temps lors de son due dilligence, il aurait surement été à la tête de free (ex tigo) aujourd’hui deuxième opérateur téléphonique de ce pays. Néanmoins, dans le groupe qui a repris tigo, nous avons un sénégalais qui est aussi à la tête d’entreprise comme thelium SA.
Toujours dans ce domaine, beaucoup de bruits courent ts sur le fait que ça soit la france qui gère le monopole du secteur des telecoms dans ce pays. Là, nous verrons que la France ne constitue que 42% de la societé mère. Le reste, est partagé entre l’etat 28%, le grand public et les institutions financières20% et 10% pour les employés.
Même la majeure partie de stations totales détruites lors des dernières manifestations sont des franchises appartenant à des sénegalais. Mais lorsqu’on se permet de se projeter au devant de la scène, de verser dans une confusion extraordinaire. On ne peut qu’avoir comme nom FRAPP FRANCE DEGAGE et sortir tout le temps râler pour rien. Dans ce pays, même quand il fait chaud certains sortent dire que c’est à cause de la Francequ’il fait chaud.
Après avoir montrer que sur les flux « financiers publics »la france, n’est plus notre premier partenaire. Après avoir montré que dans bien de secteurs d’activités des sénégalais se sont hissés au sommet, et que la part des entreprises étrangères dans notre pib n’est pas dramatiquement incorrecte. je m’en irai mentionner un autre point qui va contribuer à parfaire notre marche vers une économie émergente: la nouvelle loi sur le contenu local.
Le diagnostic politico-économique du premier septennat du régime en place avait révélé des incorrections dans notre architecture économique , les parts des nationaux étaient jugées insuffisantes, l’économie extravertie, l’exploitation de nos ressources à l’avantage d’étrangers.
Je ne ferai pas la genèse de cette loi, cette contribution est déjàassez longue. Mais si nous analysons cette loi, nous
verrons que : les nationaux sont mieux protégés dans le secteur minier et plus particulièrement dans le domaine pétrolier.
Dans ce domaine par exemple : si un national est présent dans un secteur, aucune entreprise étrangère ne peut venir le concurrencer, la seule possibilité pour l’entreprise étrangère est de chercher une joint-venture pour se trouver une place.
Mieux, dans le domaine des énergies , cette loi a permis de donner une IPP(industrie power producer) au groupe WAE de Samuel Sarr, Khadim Ba, Moustapha Ndiaye et Abdoulaye Dia. Cette IPP est la première du genre dans ce pays, une centrale à capitaux 100% sénégalais. Même si, là encore les fonds ont étés levés sur le marché financier international.
Toujours, dans cette logique de construire un secteur privé local plus fort, l’etat a donné concession à un kartel d’entreprises sénégalaises qui se sont regroupées pour pouvoir gérer le terminal pétrolier du port. Là aussi, ce groupe aura besoin d’emprunter là où la rémunération du capital est moindre.
In fine, il est clair que dans un passé récent, les mouvements de capitaux avaient d’autres raisons que la recherche de profit . Mais de nos jours, il est facile de dire que, ces mouvements ont comme facteurs principaux: les différentiels de rendements, les anticipations de taux de change, le système institutionnel . Toute chose étant égale par ailleurs. Toute logique de profit dans des mouvements de capitaux cherchent d’abord une garantie de survie du capital qui a fortement trait à la stabilité de la zone d’investissement. Vous comprendrez alors pourquoi ce pays qui était bien attractif sur le plan international, qui empruntait à un taux de 5% sur le marché financier international emprunte aujourd’hui à un taux de 7% après quelques jours d’instabilité.
Les risques d’investissement sont passés par là. Plus les risques liés aux investissements sont grands, plus le coût de rémunération est élevé . Pas besoin d’être un érudit pour le savoir.
Je terminerai par dire alors qu’il est temps que l’on arrête ce négativisme béant, vendre à notre jeunesse un ressentiment comme projet de développement n’est qu’un moyen de l’enchainer aux lourds pans d’une histoire paralysante.
Nous ne sommes pas amnésiques bien loin de là, mais comme le dit si bien Fatou Diom: « il ne faudrait pas que le souvenir d’un passé douloureux puisse voiler cet horizon oh bien prometteur que nous avons en face ». Il ne faudrait pas que l’histoire nous enchaine sur les geôles de la haine, cela ne ferait que nous rendre bien amères et assombrirait cette suprématie que la raison doit prendre sur le ressentiment. « Le ressentiment ce n’est pas un projet, car il vous restreint il vous limite et vous empêche d’avancer » dira toujours Fatou Diom.
Excellente lecture chère jeunesse ramons vers l’avenir la tête haute en traitant d’égale dignité avec le monde. Refusons ce statut de victime et battons nous pour notre futur avec intelligence.
Qu’allah veille sur ce pays.
Mouhamadou Lamine Mbodji un afro-realiste.
Membre de la cellule des cadres du parti rewmi