Hommage à Sophie Petronin
Par Diama Badiane
L’une des particularités du 21e siècle réside dans les profondes mutations qui se sont opérées sur presque tous les plans : culturel, intellectuel, social, technologique, sanitaire, mais surtout religieux, entrainant, dès lors, un bouleversement total de la géopolitique mondiale et une nouvelle conception de l’Islam. Depuis les attentats du 11 septembre, jusqu’aux récentes attaques perpétrées sur le sol français par des « Djihadistes », on assiste continuellement à une vaste entreprise de diabolisation de la religion musulmane, considérée comme la totale négation de la dignité humaine où se mêlent haine et violence.
En effet, depuis son enlèvement le 24 décembre 2016 à Gao (Nord Mali) jusqu’à sa libération il y a quelques jours, Sophie Pétronin, digne héritière de la noblesse humaine, n’a pas varié une seule fois, dans sa constante volonté de poursuivre son combat pour la cause humaine. Elle nous invite à une manière particulière, pragmatique et efficiente de voir le monde, désormais fondée sur l’éthique et le respect de la dignité humaine. Elle ne s’est donc pas contentée de théoriser l’action humanitaire, qui demeure son seul principe directeur ou de refaire le monde par le discours, mais s’est engagée, elle a été sur le terrain en mettant sa vie en danger parce que sa présence est utile quelque part dans le monde. Sophie a réitéré son refus de « s’appartenir », afin de mieux abîmer son être dans son perpétuel combat pour l’Homme. Ainsi, elle montre qu’il est réellement possible de transformer certains obstacles qui se dressent devant nous, en avantages pour mieux avancer et initier une vision du monde nouvelle.
Toute philosophie nait d’un bouleversement, qui consacre alors le besoin de repenser le monde et de s’interroger sur le sens de l’existence, qui se traduit alors par un questionnement perpétuel. Cette philosophie qui émerge dans un contexte pareil, peut donner un mental de fer et procurer une ataraxie. J’aurai toujours en mémoire cette phrase de Sophie qui nous donne une idée de sa force mentale : « je suis en pleine forme parce que j’ai transformé la détention en retraite spirituelle ».
Elle a vite compris que son enlèvement ne dépendait pas d’elle et qu’il lui fallait se résigner et l’accepter comme une étape décisive dans sa formation pour tendre vers le bien, vers le meilleur.
Cette conception qu’elle se fait du monde et des choses, doit inspirer tous ceux qui œuvrent pour une paix durable dans le monde. Son propos : « Je reviendrai au Mali, j’ai pris un engagement pour les enfants » (Entendez les enfants du monde), montre sa ferme résolution à faire de l’Humain sa seule préoccupation, en côtoyant au quotidien le danger et la mort. A ce stade de bonté, on ne se soucie plus de la mort, ce dont on se soucie, c’est de ne plus voir certains mourir par manque de soins et d’assistance…. etc., on fait donc don de sa vie à l’humanité.
C’est d’ailleurs la finalité de la philosophie stoïcienne (IIIe siècle Av. J.-C.) qui est une invite faite à l’homme de vaincre cette peur de la mort, qui est un phénomène biologique inéluctable que nous devons vaincre en l’ignorant. Elle est vraiment stoïque en ce qu’elle a su faire une positive représentation de son instant de captivité. Les stoïciens disent qu’on ne demande pas que les choses arrivent telles qu’on les désire, il faut les désirer telles qu’elles arrivent. Tout est question de représentation. Encore elle a montré que c’est l’humanité qui prévaut. Qu’on soit musulman, chrétien ou bouddhiste…ne nous empêche pas d’être humain.
Elle montre justement que l’islam, contrairement à la version idéologique dénigrante de l’Europe, est paix et humanité. Si elle décide d’y retourner c’est parce qu’elle ne se sentait pas comme otage. Si elle a été humanitaire et l’est restée malgré sa conversion, c’est qu’elle veut montrer que les appartenances importent peu. Et dans ce contexte de mondialisation, Sophie est » une fille de la terre » comme l’aurait dit Cheikh Amidou Kane… L’histoire pathétique de cette Femme du monde est une vraie leçon de vie pour ceux qui savent encore apprendre des autres. Elle a réussi à vivre conformément à la sagesse stoïcienne et à faire de l’Homme la valeur suprême ou la suprême valeur. Toute sa vie, toutes ses actions, tout son être tendent vers l’homme, vers l’amour et le bien-être de son prochain. C’est cela sa richesse, son trésor inépuisable.
Les biens matériels sont bien peu de choses, pour Sophie Pétronin, comparés à la joie immense que lui procure le fait d’être au service des autres.
Merci Maryam, Sophie Petronin
Mme Badiane professeur de philosophe