Danse – Le pas fatal de Zizi Jeanmaire
Son truc en plumes, Zizi Jeanmaire s’en est parée, en a joué et s’y est lovée. Mais sa carrière française et internationale hors norme, ne peut se réduire à ce numéro de music-hall : du petit rat de l’opéra à la chanteuse d’auteurs reconnus, elle a su explorer tous les terrains de la création, la danse évidemment, mais aussi le théâtre, le cinéma et la chanson. Elle vient de s’éteindre à l’âge de 96 ans en Suisse.
« Elle a des jambes plus longues que son corps… Elle a des yeux à vider un couvent de trappistes en cinq minutes. Elle a une voix comme on n’en fait qu’à Paris. Cette sirène canaille est aussi une danseuse divine, une vraie force de la nature ». Boris Vian est l’un des hommes dont la luminosité et le génie ont éclairé la vie de Zizi, née Renée Marcelle Jeanmaire, le 29 avril 1924. Marquée par la danse, le rire et le travail, l’existence de la « croqueuse de diamants » fut également empreinte de rencontres, principalement masculines.
Serge Lifar, d’abord, qui l’accueille en 1940 dans le corps de ballet de l’Opéra de Paris, sept ans après son entrée en tant que petit rat au sein de la mythique académie de danse. Boris Kniaseff aussi, qui lui donne des cours parallèlement. Tous deux voient, très tôt, dans les entrechats, sautés et autres grands écarts qu’elle aligne, le talent de la jeune femme brune au regard mutin et au sourire quasi permanent.
Mais ils n’ont pas la clairvoyance de Roland Petit, qui perçoit en sa future femme un avenir et une modernité hors du commun. La rencontre entre celle qui, à peine sortie de l’adolescence, est déjà une star dans le milieu de la danse, et celui qui deviendra un des chorégraphes les plus admirés du XXe siècle… et son mari, se fait tout naturellement.
En 1944, elle quitte l’Opéra de Paris pour suivre Serge Lifar et danser Aubade. L’année suivante, elle rejoint son mari au sein du Ballet des Champs-Élysées qu’il vient de créer, puis au Théâtre Marigny où Roland Petit vient de fonder les Ballets de Paris. Ils créent tous les deux le ballet Carmen en 1949 qu’ils présentent au Prince’s Theatre de Londres, puis à Paris, et à Broadway pendant sept mois.
Après la danse, la chanson
Un nouvel homme se faufile en 1950 dans la vie de Zizi Jeanmaire : Raymond Queneau. De Zazie à Zizi, il n’y a que deux voyelles, franchies à la vitesse d’un métro. C’est lui qui est chargé d’écrire les paroles de La croqueuse de diamants. Cette chanson rapportera à Zizi le Grand prix du Disque 1950. Un succès surprenant pour la danseuse qui n’avait jamais chanté jusque-là. Avec Queneau, Zizi entre dans le monde littéraire de l’époque. Boris Vian, entre autres, devient l’un de ses plus grands complices. Elle admire sa fantaisie spirituelle, il aime son originalité scénique.
Et il n’est pas le seul. Les hommes de la vie de Zizi seront, à partir de 1952, des réalisateurs américains. Charles Vidor, Robert Lewis ou Terence Young font jouer « Zizi Jane Mary » dans leurs films. Le succès outre-Atlantique de la jeune danseuse aux jambes admirées de toute part est le même que rencontre Zizi lors de ses prestations cinématographiques en France, lorsqu’à son retour des États-Unis, elle joue dans Un soir au Music-hall (Folies-Bergère) et Charmants garçons de Henri Decoin, en 1956 et 1957, puis, deux ans plus tard, dans Guinguette de Jean Delannoy.
Entre temps, sa relation avec Roland Petit, dont elle s’est séparée en 1953, est consolidée en 1954 par des retrouvailles et un mariage aux États-Unis. Le duo ne se séparera plus. En 1961, six ans après la naissance de sa fille Valentine, Zizi Jeanmaire rencontre enfin le succès en tant que chanteuse grâce à la Revue qui explose à l’Alhambra. Zizi n’en finit plus de descendre les marches du théâtre, parée de costumes signés Yves Saint-Laurent en chantant Mon truc en plumes, une chanson écrite par Jean Constantin.
Les plus grands lui écrivent des chansons : Jean Ferrat, Boris Vian, Louis Aragon, Serge Gainsbourg, Barbara… Tous sont inspirés par sa vivacité, sa fantaisie et son énergie. Zizi je t’aime, la comédie musicale qui suit, remporte le même succès. L’artiste à la gouaille toute parisienne décide de reprendre la danse classique et danse, en 1975, dans la Symphonie Fantastique, puis en 1979, dans La Chauve Souris et Parisianna 25è – toujours sous la houlette de Roland Petit, désormais fondateur du Ballet de Marseille.
La scène est le terrain de jeu le plus adapté à l’espièglerie de Zizi, et pour Roland Petit, la meilleure des sources d’inspiration. Quand il rachète le Casino de Paris, en 1970, Zizi donne un coup de frais à l’endroit en s’y produisant, 2 ans après avoir rempli l’Olympia et effectué une tournée mondiale retentissante.
À presque 50 ans, froufrous, éventails, boas et paillettes sont toujours les compagnons de scène les plus chers de la reine du music-hall. Pour l’Opéra de Paris et le Théâtre des Champs-Élysées, elle crée avec Roland Petit des chorégraphies au succès quasiment toujours prévisible.
Des amis poètes
En 2000, elle remonte sur scène pour un concert hommage à ses amis poètes et remplit la salle de l’Opéra-Bastille. Elle chante Queneau, Prévert, Guy Béart, Serge Gainsbourg, Marcel Aymé… Parmi cette pléiade de maîtres se glisse, aussi légère qu’un boa en plumes, une certaine Valentine Petit, qui a hérité de ses illustres parents le goût de la scène, des mots et de la beauté artistique. Elle met ses talents au service de sa mère en lui écrivant des chansons.
L’année 2000 marque pour Zizi une rupture difficile : souffrant de la maladie de Ménière, qui provoque évanouissements et surdité, la scène lui est désormais difficilement supportable. Refusant, comme d’habitude, de céder à l’abattement, Zizi se console en enregistrant un nouveau disque, La liberté est une fleur, qui sort en 2003. À plus de 80 ans, la dame qui sut réussir le grand écart entre le classique et la variété a à peine pris quelques rides et ses courtes mèches brunes ne font qu’éclairer son regard toujours aussi mutin.
De cette vie exceptionnelle, elle tire un livre de mémoires qui parait fin 2008, Et le souvenir que je garde au cœur. (Les arènes/Bel Air classiques).
De l’Opéra de Paris à l’Opéra Bastille en passant par Broadway et les plus grandes scènes du monde, le truc de Zizi, qu’il soit en plumes ou non, a agi sur les publics de tous âge et de toute langue, pour peu qu’ils aient su apprécier l’énergie, l’humour, le professionnalisme et l’éventail de talents de cette grande dame du paysage musical francophone. Avec sa disparition, une des grandes stars du music-hall s’éteint et si, la plume de la danse s’envole, un truc mystérieux fait que nombre de ses chansons hantent encore les discothèques. Dans les mémoires, les jambes quasi parfaites de Zizi ne sont pas près de se dépêtrer de leur boa !
Site officiel de Zizi Jeanmaire