La force de l’image en politique
Lors des dernières élections législatives, des candidats ont cherché à se mettre en scène, en se démarquant d’une certaine pratique politique. Et cela n’a pas échappé à l’œil de l’expert.
Abdoul Mbaye explique, dans un bus DDD, son programme aux passagers ; Me Sidiki
Kaba joue au baby foot, après avoir servi «les trois normaux» (thé) ; Aïssata
Tall Sall, debout dans sa voiture décapotable, en pleine caravane, tient dans
ses bras un enfant…
Des images qui n’ont pas échappé à la curiosité de certains de nos
compatriotes. Des réactions mitigées qui prouvent, si besoin en est, qu’elles
n’ont laissé personne indifférent. Cela dénote la force de l’image en
politique.
D’abord, indiquer que ces politiques (Abdoul Mbaye, Sidiki Kaba et Aïssata Tall
Sall), ne se sont pas comportés de manière fortuite, mais en toute connaissance
de cause. Ils avaient tous une petite idée derrière la tête. Conscients de
l’image projetée, ils ont voulu transformer cette dernière (image projetée) en
image reçue. Ils ont compris que l’image est un ensemble de traits soumis à
l’observation du public et que tel profil aujourd’hui annonce telle action de
demain. C’est en cela que l’image en politique fonctionne comme l’esquisse et
le substitut d’un programme de campagne. Par conséquent, elle sert de label, le
condensé des caractères réels ou supposés du «produit», c’est-à-dire du
politique (Roger Gérard Schwartzenberg).
Chacun essayera de paraître sous les traits attrayants, en créant une ambiance
d’empathie. C’est d’ailleurs en cela que Jacques Séguéla et Therry Saussez
n’ont pas tort d’assimiler la campagne électorale à une «danse nuptiale». Sans
création de désir, pas d’acte…sexuel. Et ramené au niveau purement électoral,
l’acte, c’est le vote. La campagne électorale est un grand moment de séduction.
Les images insolites d’Abdoul Mbaye, de Sidiki Kaba et d’Aïssata Tall Sall
traduisent cette réalité. Ils se sont, tour à tour, glissés dans la peau du
common man, du leader de charme et de la mère.
Abdou Mbaye, le Common man
Le leader de la coalition Joyyanti, en choisissant de trouver les électeurs
dans le bus Dakar Dem Dikk (Ddd), a sans nul doute voulu renvoyer l’image de
Monsieur-Tout- le monde, de l’homme ordinaire. Celui qui utilise le réseau DDD
pour se rendre au travail ou faire ses courses. Jouer la carte de la proximité,
c’est s’assurer, au moins, créer une ambiance de sympathie au sein d’une
population où certaines personnes mordront à l’hameçon de la séduction. Abdoul
Mbaye a goûté «frauduleusement» au «bonheur de l’identité», pour parler comme
Roland Barthes, puisqu’il n’est pas cet homme du peuple sorti du rang et auquel
le sénégalais ordinaire va s’identifier. Mais la représentation que certains de
ses compatriotes se feront de l’acte posé par le fils du Juge Kéba Mbaye va
effacer cette «différence» en en faisant un pur reflet du Sénégalais lambda,
celui que l’auteur de «L’Etat spectacle» appelle «one of us» ; un homme qui
incarne les vertus communes et provoque l’adhésion par l’identité. Il est
simplement à hauteur d’homme. En portant un pantalon jean et une chemise,
Abdoul Mbaye renvoie l’image de quelqu’un de modeste, d’accessible et de
décontracté.
Précisons qu’il n’est pas le premier à jouer au common man. Me Wade a fait le
trajet en bus DDD du dépôt de Ouakam au palais ; Macky Sall est allé au foirail
acheter son mouton de Tabaski…
Sidiki Kaba, le leader de charme
Préparer le thé et jouer au baby foot avec des jeunes qui ont certainement
l’âge de ses enfants, deux images fortes qui ont fait le tour de la toile.
Sidiki Kaba fait ainsi figure de leader de charme. Il véhicule l’image du grand
frère sympathique, actif et dynamique. A l’image de ces jeunes, le «ministre»
responsable de l’Apr veut incarner la politique du mouvement. Sidiki Kaba a
compris une chose : la familiarité, la simplicité et la modestie peuvent être
une arme redoutable en politique. En apparaissant sous les traits décontracté
et spontané, il cherche plutôt à séduire plus qu’à convaincre.
Le président de la République, Macky Sall nous avait servi la même image du
leader de charme en jouant au foot avec des enfants au bord de la plage.
Aïssata Tall Sall, la mère
En prenant dans ses bras cet enfant, Me Aïssata Tall Sall, en pleine caravane
pour les législatives, a voulu vendre aux Sénégalais l’image de la mère de
famille. Cette mère qui symbolise la source de vie, l’amour, la chaleur. En
somme, c’est le stéréotype de la mère qui donne et protège. Elle renvoie ainsi
l’image maternante de l’autorité politique qui incarne la bienveillance, la
gentillesse, la tolérance, la sollicitude ; portée au dialogue et attentive aux
doléances (Roger Gérard Schwartzenberg).
Précisons que l’enfant, bien que ne jouant un rôle décisif dans la transaction
politique, cherche une identité dans le temps qui représente soit un avenir
radieux ou menacé. Il est là, avouons-le, pour la clientèle politique.
Femme «virile » ?
Seulement, Me Aïssata Tall Sall, tout comme la plupart des femmes qui ont percé
dans ce milieu macho, n’a pas échappé au piège consistant à imiter les rôles
masculins d’autorité souvent en les renchérissant. Apparaissant sous les traits
de la «dame de fer», avec un corps parfois raide qui ne favorise pas toujours
l’expression d’une féminité, hélas, «domestiquée». Certes, le modèle matriarcal
valorise les qualités viriles telles que l’autorité, l’énergie, l’affirmation
agressive de soi (L’Etat Spectacle)… Mais, il ne doit pas, de notre point de
vue, «tuer» l’identité, la différence saine. Nous sommes de ceux qui pensent
que «tout homme est une exception», pour reprendre les mots pleins de sens de
Kierkegaard. Malheureusement, aujourd’hui l’homme ou la femme politique semble devenir
un stéréotype, c’est-à-dire un prêt-à-penser, un prêt-à-agir.
Bacary Domingo MANE