FORCER LA MAIN DE DIEU
Ils ne dorment plus du sommeil du juste. Terrassés par le stress et l’angoisse, nos hommes politiques ont perdu l’appétit depuis la réélection du président Sall. Ils veulent être ministre dans le prochain gouvernement, patron d’une institution, directeur de cabinet ou directeur d’une société ou agence nationale. Pour cela, ils sont prêts à remuer ciel et terre, en s’adonnant parfois aux pratiques mystiques des plus abjectes aux fins de forcer la main de Dieu et celle de Macky Sall. Ils ont envoyé dans les coins et recoins du pays et de la planète, les militants «chasseurs» à la recherche des marabouts, des Saltigués et autres magiciens et charlatans pour amener le locataire du Palais à signer le décret de nomination.
Ils n’ont pas attendu longtemps, après la réélection du candidat Macky Sall, pour investir les coins les plus reculés du pays, de l’Afrique, voire de la planète toute entière. Ministres, Directeurs de cabinet, Directeur de société ou d’agence nationale, etc. sont à la recherche de marabouts et autres charlatans pour conserver leur poste ou avoir une promotion beaucoup plus alléchante. Ceux qui ne sont pas encore dans les grâces présidentielles – soit ce sont des transhumants, victimes de la déchéance humaine (animaux errant à la recherche de prairie verdoyante) ; soit ils sont là depuis les premières heures mais n’ont pas encore de sucette – ont aussi déserté Dakar à la recherche de redoutables chamanes et autres pangols et magie pour redresser la courbe du destin. Tous (les «déjà- servis» qui veulent se maintenir ou avoir une meilleure promotion ; et ceux qui sont sur une liste d’attente de sucette) veulent, sans état d’âme, forcer la main de Dieu, le Créateur de l’univers, le Maître du langage performatif (soit et la lumière fut !).
Notre rapport au cosmos
En effet, ceux qui envisagent la politique sous l’angle purement rationnelle auront du mal à appréhender et surtout à comprendre un tel comportement, «dénué», à la limite, de sens, à leurs yeux. Mais notre africanité nous «impose» d’autres perspectives dans le rapport au cosmos, lequel inspire la lecture des différentes choses ou évènements. Nous avions indiqué dans nos travaux de recherches universitaires que la politique, chez nous, se pare parfois des atours d’une réalité socio-culturelle qui ne se laisse pas souvent embrigader dans des prismes occidentaux où la rationalité désincarnée ramène tout à une logique prévisible. Ici, le magico-religieux peut expliquer certains comportements irrationnels d’hommes et de femmes politiques qui croient dur comme fer que c’est Dieu qui hisse aux fonctions électives ou nominatives. Dans une démarche «syncrétique», ils battront campagne de l’aurore au crépuscule pour convaincre les électeurs avec des stratégies bien huilées, et la nuit, se retrouveront dans la case du saltigué ou du marabout pour solliciter des prières. Mais ils savent au moins une chose : à beau avoir été choisi par les dieux, pour gouverner ou diriger les hommes, ce sont ces derniers qu’il faut impressionner, pour parler comme l’historien Christian Delporte. D’où l’intense activité de lobbying qu’ils mènent auprès de personnalités pour entrer dans les bonnes grâces du couple présidentiel.
Des âmes sacrifiées
Malgré tout, la place de la mystique dans la stratégie de conquête ou de conservation d’un poste électif ou nominatif, demeure une réalité dans notre pays. D’importantes sommes d’argent sont dépensées, des milliers, voire des millions de kilomètres sont parcourus (des candidats aux postes nominatifs se rendent à l’autre bout de la planète, Inde, Chine etc.), des vies sont parfois même sacrifiées. Des rumeurs persistantes relayées par la presse, parlent d’âme d’enfants ou d’Albinos offerte «gracieusement» au diable pour forcer le coup du destin.
Lutte occulte
Notre compatriote, Lamine Ndiaye en rend compte dans ses travaux (Mysticisme et identité négro-africaine Activité politique et Pratiques, ETHIOPIQUES N°90, 1er Semestre 2013), en indiquant que le champ de la «politique négro-africaine» est un «terrain favorable» à toutes les formes de lutte occulte, et cela du fait d’une croyance à des forces surnaturelles, fortement ancrée dans la conscience collective des Africains : «L’arène politique est aussi le champ, par excellence, de l’action mystique. La pratique est tellement importante qu’il existe un champ lexical riche de mots et d’expressions appartenant au jargon de la mystique locale». Ces quelques vocables Wolof que l’auteur a tenté de traduire, en disent long sur une pratique qui fait partie des ornements du champ politique : « defaru » (se préparer, se prémunir de, s’apprêter,…) ; « aaru » (se protéger, se barricader, se défendre) ; « takku » (porter beaucoup de gris-gris) ; « sàngu » (se baigner, prendre un bain ou une toilette mystique) ; « diwu » (se masser le corps, s’enduire d’eau) etc. Il explique que les «poids lourds politiques» sénégalais disposent presque tous d’un staff composé de militants «chasseurs» de « grands buxaaba »«sondeurs» chevronnés. Ces «chasseurs» sont lâchés dans la nature «mystique» pour contraindre le président à faire ce que les dieux demandent qu’il fasse : signer le décret de nomination. Nos hommes politiques sont convaincus que ces marabouts et autres charlatans sont capables de désaxer l’aiguille de l’horloge de l’univers, en forçant la main de Dieu.
Wade et Macky, le bouclier mystique
Des rumeurs racontent que le troisième chef de l’État sénégalais refusait de serrer la main à ceux qui portaient, à la veille d’un remaniement ministériel, des bagues spéciales ou des « bracelets “or-argent”». C’est pour dire que les hommes politiques, en «perdant quelquefois la raison », se singularisent par le port de grosses bagues «magiques» et par l’utilisation d’un cure-dents long (ETHIOPIQUES N°90, 1er Semestre 2013).
Son successeur, Macky Sall, qui, dit-on, est au fait de ces pratiques, a certainement mis en place un bouclier mystique sol-sol aux fins de contrer tous les plans diaboliques concoctés par les êtres des ténèbres. Prions pour qu’il garde toute sa lucidité dans le choix des hommes et des femmes appelés à servir notre pays. Levons les mains vers le ciel pour enchaîner le diable et le jeter hors du palais. Sollicitons la protection divine pour une République des valeurs et un Sénégal pour tous !
Bacary Domingo MANE